NOUVELLES :

DE SIGNIS

Dans un creux de dune oubliée s’est élevée en murmure palpable, la légende du vieux Signis.

Il était enfermé dans un vaste désert – vaste lui semblait-il – presque aride, presque chauve.

Dans un creux de dune par magie peut-être :

une minuscule combe, une escarre argileuse.

GLAISE

Quelques rochers érodés et lui

Seuls.

Quand il eut l’intuition qu’il devait s’établir là, il voulut limiter l’espace, son espace, se sentir parfois à l’intérieur parfois à l’extérieur.

D’une part faire d’autre part ne pas faire et le nulle part.

Il engendra son espace; le vent et la lumière crue modules de sa vie en donnèrent la mesure. Il fabriqua en argile une sorte de coupe montée sur un trépied. La coupe était l’empreinte d’une cavité oblongue découverte dans un rocher. Parfois quelques gouttes perlaient sur la frange. Au fond les gouttes semblaient un O, œil.

Cette pierre était rouge.

La découverte de ce non-lieu à hiérarchiser à modeler l’emplit de joie et d’une effervescence fébrile: ce fut le premier jour de son existence.

Une aurore. Il vit entre les deux cornes d’un rocher un morceau de soleil. Il se leva. La pierre projetait sur le sable une large et très longue ombre.

Alors il se mit à l’œuvre. Il marqua l’extrémité de cette langue immense quand le vent eut rempli le petit creuset monté sur trépied. Un sable si fin, poussière rougeâtre. Il marqua cette rupture entre l’ombre et la lumière d’une grosse pierre qu’il déplaça avec peine. Puis il versa le sable du godet dans une cruche ventrue

et recommença.

Ses gestes devinrent rite.

Au fil des jours se forma ainsi une sorte d’enceinte ponctuelle adossée à une dune s(t)able; enceinte bornée de pierres reliées à certains instants du jour de murs d’ombres. Elles formaient des portes que le soleil ouvrait et fermait lentement.

Le rite dura des jours, plusieurs centaines de jours. La jarre s’emplissait de sable et l’enceinte se fermait lentement. Un matin, le godet était plein et il voulu pousser une pierre mais sans étonnement il remarqua que la pierre l’ombre l’extrémité de l’ombre et la deuxième pierre était exactement reliées comme au premier jour du travail.

Son temps était borné. Il pouvait se souvenir. Il pouvait être en relation avec le temps l’espace le monde et l’en dedans…

Il semblait avoir fait une découverte. Il crut que le cérémonial prenait fin dans l’accomplissement de cet ouvrage de cette première œuvre et il scella la cruche pour y conserver le temps de la construction. Fines particules rouges.

Il regardait souvent le soir cette longue houle de dunes mais jamais plus il ne s’est aventuré au-delà de l’horizon. Tu avais trop vécu dans un lieu qui n’existait pas. Maintenant que tu avais circonscrit ton espace l’inconnu de l’extérieur était connu, la limite pointillée que tu avais créée te soulageait du poids de l’infinie angoisse d’être. Tu savais qu’agir, faire, créer n’avait pour but qu’inscrire dans l’espace une preuve de ton existence. Mais toute ta vie tu as essayé d’accéder à cette force du non-agir. Et pourtant tu savais que c’était à cause de tes forces qui s’épuiseraient un jour que tu créais. Pour l’homme unique ou perdu ou retiré que tu étais (avais-tu un jour soulevé cette question?) l’art crée la mort dans l’angoisse et l’ultime sérénité du non-agir.

T’aventurer dans le désert au-delà de l’enceinte, il fallait être désespéré, ne plus croire à l’immense force (créatrice) de ton enceinte.

Et ta citadelle existait. Puissante et fragile.

Puissante

Fragile.

D’autres nuits il passait son temps à méditer. Il inscrivait ensuite sur des cubes d’argiles les enseignements de ses réflexions et les recherches qu’il effectuerait la nuit prochaine ou le lendemain. Le matin il regardait si les choses étaient bien à leur place et imaginait l’ampleur du travail à venir.

Il avait oublié qu’il pouvait parler, que sa gorge put émettre un son. Son cou ne connaissait plus les tensions vocales.

Peut-être n’en avait-il nul besoin.

Les cubes enfilés en brochettes sur des branches de buissons blanchis séchaient et se craquelaient finement. Sur chacune de leurs six faces la mémoire de ces nuits et celle de ses jours. (on pense que l’arête rabattue sur chaque cube indiquait le passage d’un jour sans activité. En tout cas ce sont ces cubes qui ont permis de reconstituer l’histoire de Signis. Ce nom lui a été donné par les ethnologues qui se sont intéressés au site où il fut découvert.)

Un jour il voulut faire un modelage de lui-même, mais il ne savait pas comment s’y prendre. Des nuits passèrent. Ses mains se mirent à trembler. Alors il commença par modeler sa main gauche, il dut faire plusieurs tentatives car on retrouva dans un vaste récipient d’argile -en forme de châsse- des ébauches de diverses parties de son corps. Puis un jour il modela son pied droit son pied gauche ses jambes son sexe son torse ses bras sa main gauche et sa main droite. Quand il arriva au cou au revers de son torse et à la tête il utilisa les yeux de ses doigts. Il s’ausculta se palpa. Une bête tentaculaire marchait à sa découverte. Il lui fallait par la suite, dans le geste du sculpteur, retrouver la sensation digitale et l’histoire de ses mouvements.

C’est ainsi qu’en regardant dans le vague l’enceinte, il apprit à se connaître par ses doigts.

La terre glaise empreintait la caresse digitale. Le souvenirs des creux des grains de l’osseux du charnu du flétri, le souvenir des gestes plus ou moins aisés pour atteindre ces territoires invisibles.

Une nuit il y eut une tempête de sable. La journée avait été si rude probablement qu’il était sans doute rompu de fatigue. Signis avait tant manipulé la glaise que son corps était recouvert d’une fine membrane d’argile grasse.

Il avait travaillé si fébrilement dans un quasi délire de création et de découverte de lui-même!…

Le sable s’agglutina se colla à la gangue rouge.

L’horizon exprima le jus d’un soleil et il ne bougea pas. Le soleil passa au-dessus des têtes gémellaires et elles ne bougèrent pas. Les ombres ont fait la ronde des pierres d’enceinte et rien ne bougea.

Il dansait dans le jour esquissé, il ne gesticulera plus. Il manipulait la glaise, il ne crachera plus de glaire.

Tu resteras en contact immuable avec la terre. Le sable t’engouffrera.

Le ciel t’a épuisé, la lumière t’a dés-altéré.

En face de Signis la statue assemblée dans la même lumière.