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Return to sender

C’est beau une lettre qui a fait plusieurs fois le tour de la terre, à la poursuite de son destinataire…

faire suivre svp, l’enveloppe et ses tampons illisibles gras, desséchés aux alphabets mystérieux, ses “ return to sender ”, “ NPAI “ , ses signes, ses gribouillis de signature de chef de service, ses adresses barrées… Albuquerque, Melbourne, Osaka, Ulan Bator, Reykjavik Sébastopol, Goa, Lisbonne…

enveloppe qui finit par atterrir sous la porte de l’expéditeur… il comprend alors l’absence de réponse…

la réponse à la seule question qu’il n’avait jamais posée… les petits losanges bleu et rouge de l’enveloppe par avion sont un peu flétris, ternis, parfois l’encre des stylos, des feutres a bavé… laissant imaginer des moussons… faisant pleurer l’écriture, l’absence… il voit des animaux tapis à l’abri de larges feuilles presque diaphanes… des cargos rouillés rougissant les reflets de l’eau du port, des silhouettes d’éléphants hochant la tête sur les pistes poussiéreuses, des geysers perdus dans la neige et des mares couvertes de vapeurs où trempent des baigneurs immobiles… mais pour Albuquerque, il ne voit rien… un no man’s land, un nom sans lieu où plutôt un nom qui évoque un ailleurs, un port très loin aux Indes : Goa justement… il ne comprend pas… Petite Poucette laissant des adresses pour qu’on la trace… une de ses lettres avait mis trois mois pour aller de Goa à Paris… une autre écrite à Katmandu sur un papier pelure rose porte un timbre oblitéré à Mexico… combien sont encore en train de tournicoter autour de la Terre ?

Il tient l’enveloppe. Sur le pas de la porte, les tommettes boivent un trapèze de soleil, le premier depuis des mois… il regarde l’enveloppe et sourit… un sourire amer… la question scellée à l’intérieur a-t-elle encore un sens ? est-elle toujours d’actualité ? et il sait qu’elle ne l’est plus… à cause du silence à cause de la distance… à cause de la vie qui tourne… qui avance plutôt… il ne comprend pas pourquoi il s’obstine à regarder et à palper cette lettre qui n’est plus la sienne depuis qu’il l’a glissée dans la boite… et pourquoi il n’ouvre pas cette autre enveloppe où il reconnaît l’écriture autrefois familière… un peu tremblante quand même… il ne l’ouvre pas, regarde le tampon : illisible, les timbres népalais sont tristes, identiques à la queue leu-leu… on dirait de faux timbres… des timbres de Monopoly… l’enveloppe est épaisse… a trois feuillets par timbre… ça fait vingt-quatre pages d’évasion… il n’a envie de rien… pose les deux lettres sur la table de la salle à manger… question dans l’une… réponse peut-être dans l’autre… mais il en doute…  chassé-croisé… la vie quoi…

Tu te revois dans un rocking-chair couinant, les yeux ruisselants d’alcool, les tempes ruisselantes de sueur, un halo de lune ruisselante à l’horizon, le feulement des fauves dans la savane… non… c’est fini cette période… la lampe tempête tremble et fait danser ton ombre sur la terrasse…

Encore une fois… elle aura été retenue par quelque part… et quand tu as vu des phares slalomer au lointain tu as été rassuré en constatant qu’elle n’aura pas passé la nuit ailleurs et que quelque chose -mais quoi ?- la ramenait ici… sans bouger tu l’as attendue en te balançant… elle a monté les quatre marches et t’a regardé et a passé la main dans tes cheveux…

 -que regardais-tu ? 

 -je regardais l’attente… et il haussa les épaules, fatigué, plus épuisé, tari.

Il ne sait pas pourquoi… mais il ne l’a pas attirée sur ses genoux… comme d’habitude… si bien si tendrement… il n’a pas glissé sa main dans sa blouse à peine boutonnée…

-Et maintenant ? 

-Maintenant je ne vois plus rien… même l’attente me semble hors d’atteinte…

Le sourire qu’elle esquissait il y a juste un instant a disparu. Une tristesse coule dans son corps, déborde… elle met sa main devant sa bouche et se retourne… il entend le 4X4 redémarrer… deux phares fouillent le noir au rythme des chaos, puis la nuit soudain se referme…

Il pose son stylo et se retourne vers les deux enveloppes, les déchire en menus morceaux avec application et laisse ce petit tas bariolé sur le bureau… et sort.

Il croise la concierge et lui dit bonjour.

 -Alors de bonnes nouvelles ?