NOM DE MON ÂME DAMNÉE
Hier soir, en plein noir, j’étais mort et sans voir, je destinais à l’absent des phrases incandescentes. Émule du rien, je naviguais à l’estime. Voilà le beau voyage qu’est l’assouvissement… voyage à l’estime dans les eaux retournées au calme…
Mais aujourd’hui et toute la nuit future, je me réveillerai de tous mes songes et fabriquerai le néant du siècle, car c’est impossible de dresser le rêve du plaisir…
Siècles des mortes lumières. Il n’y a plus de raison. L’amour est usé. Le romantisme est devenu pervers. On coule des idoles à la beauté sans âme.
Des sculptures avec un rien. Des peintures avec du rouge, un peu de vert, une étoile jaune. C’est tout, c’est rien. Surtout aucune certitude…
Ça vous traverse quand même un peu la peau, vers une destination qui existe : l’esprit de l’âme… si elle existe, si elle existe, si elle excite l’esprit.
Hier soir, je trouvais le boulevard d’Anvers très large comme si j’étais redevenu enfant.
Parfois on sent peser sur soi le poids d’une existence qui ne dit pas son nom et qui rend encore plus seul… un ange gardien en négatif. En moins.
Hier soir, j’étais seul face à un fauteuil vide qui me regardait les bras tendus crispés… une peau de panthère écrabouillée à mes pieds. -Beurk, ces dents, ces dents… j’ai mis ma tête dans sa gueule pour jouer au dompteur… et j’entendais des applaudissements de cirque Pinder ! Était-ce Lucien Jeunesse ou Roger Lenzac qui animaient les gradins dans ses paillettes d’argent et d’or… à l’intérieur de la gueule, ça puait la jungle et le nougat, la pourriture et la viande séchée… c’est pourquoi je suis mort. Je ne supporte pas ce qui pue… et je pue ! Ni le noir, ni les crocs… je ne supporte pas grand-chose à vrai dire… ça me plaît d’être mort. Soucis en moins… et moins d’insupportable. Ça me permet de penser aux poètes…
Il y a la myopie qui peut approcher près du cancer… l’arthrose, les escarres, puis par lents interstices la nécrose, l’hypothermie des extrémités…
Un mal létal terminal B R U S Q U E on n’a pas le temps d’appeler pour les Saints Sacrements… ça n’existe plus… palpitations temporales… le temps PA RA SITÉ enfin…
Hier, « je » était tout seul « je » a fait un solitaire. Les boules rutilantes traçaient des pointes d’une étoile à six directions… tout perdu.
Temps perdu… moi perdu aussi. Moi et elle on s’aime plus. Surtout depuis qu’elle a rencontré le nîmois cet autre moi…
Exotique le nîmois que j’épie du bistrot d’en face quand il vient pour monter… je tique… avec ses yeux de travers, sa bouche de grenouille, son nez étiolé…
Je perds des heures à ne rien faire ou alors à faire des efforts… eux ils font ce qu’ils ont à faire… ce que tu fais aussi… la fréquence en moins… « pauvre minou » dit-elle… ce n’est pas ta faute… il me faut ça dix fois par jour sinon… sinon ?
J’ai pas la réponse… voilà pourquoi je zone dans les rues… faut que je vois ma mère…
Maman dis-moi… combien ont chaviré dans tes bras en échouant dans ce bordel d’où je viens… j’ai pas de réponse… j’ai jamais eu de réponse aux questions que je posais… j’avais que des certitudes à avoir… et puis tant pis il fallait que j’en fasse des vérités… quitte à prendre des coups… ou à être un instant ridicule…
Maman, tes fards n’ont pas éteint ta beauté orientale… mais comment est ton cœur tant pis si d’autres t’appellent la pute Trottinette… tu es entraînée… mais j’ai besoin de me raccrocher et j’ai envie de te parler… tu es terrible : quand tu me vois tu ne me reconnais pas et tu commences à me caresser me peloter comme un client… et moi ça me gêne… je suis ton fils !
Ah ! comme tu ressembles à ton père !
Qui est mon père ? Je t’en choisirai un… tu verras… il sera beau, avec un bouc bien dru, un tatouage de marin sur l’épaule, il aura fait la guerre, il m’aura sauvée des violeurs dans le bled, il aura malgré les claques le don de me faire chavirer, tu verras il viendra avec son maillot rayé, tu verras ce n’est pas un bagnard, tu verras il sait parler aux femmes avec son sourire enjôleur, tu verras… si je l’ai choisi, lui, pour être ton père c’est qu’il a le nom de mon âme depuis… tant d’années… je l’attrape par la queue… une souris verte… elle chantonne en me souriant.