NOM D’UN CHIEN
Le chien s’approcha en ajustant sa perruque. Il avançait sur les deux pattes arrière et son sexe décalotté pointait rosâtre et rutilant. Fumant la pipe il grognait légèrement en matant Diana. Elle avait fait exprès de s’avachir nonchalamment sur le canapé, les cuisses écartées, légèrement lascive. Il lui tendit le téléphone et elle fit exprès de laisser le fil queue de cochon glisser entre ses cuisses… elle savait que ça l’excitait… eh voilà… il en a lâché sa pipe !
Ciel c’est du skaï ! s’exclama Fox Trot en approchant le museau du slip imprimé d’une première page du Guardian.
(Phrase qu’a peut-être entendu Délia, sa traductrice anglo-saxonne).
Il y a quelqu’un chez vous ?
Non… enfin oui Fox Trot mon chien… qui fait de l’esprit tout seul.
Fox Trot comprit qu’on parlait de lui, remua la queue et s’installa sur les genoux de Diana.
-Je vous téléphone à propos de la traduction du chapitre 13… je voulais votre avis… vous ne trouvez pas que c’est un peu osé!
-Quoi?
-« Fox Trot en approchant le museau du slip… »
-Qu’est-ce qui vous gêne? Slip… je ne vois pas le problème… je ne vais quand pas vous laisser traduire par genoux ou… choux ou… bijoux ou… ce n’est pas parce que j’ai plus de soixante ans que je n’ai pas le droit d’écrire des chose disons un peu olé olé… et puis mes lecteurs et surtout mes lectrices aiment comme ça… ce n’est pas vous ma chérie qui allez me contredire voyons… slip c’est beau… ça glisse bien… ça claque… il y a tout dans le slip… le mot est bref, il fait imaginer, en gros, le minimum restant à découvrir, une transparence remplie d’ombre, il y a le bruit de l’élastique, le froufrou qui glisse… non slip c’est bien… ma petite… faites un effort…
d’un geste elle caressa le crâne de Fox Trot, en s’amusant à rabattre ses oreilles sur ses yeux; le chien glissa en arrière et sauta du canapé en s’ébrouant et aboya en montrant les crocs…
et rappelez-moi quand vous aurez quelque chose à me faire relire… je suis sûre que vous trouverez ce ton feutré de cet amour lesbien raisonnable qui ne veut en rien être provocant. L’avez-vous senti à la lecture?… faites moi ce plaisir, Ma Chatte et vous savez ce que j’en fais des critiques… vous le savez… je leur mets la tête dans mon slip et ils n’en reviennent pas!
Diana se mit à rire de sa vulgarité, se leva en ajustant un large sari indigo et se servit un grand Scotch sans glaçon.
-Allo, allo, ma Petite Chatte vous êtes toujours là ?
Diana regarda le combiné comme si quelque djinn allait en sortir. Elle haussa les épaules, appuya sur le bouton arrêt et jeta le combiné sur le canapé et avala une gorgée de whisky.
La veille elle était montée sur la balance… une voix synthétique avait annoncé la mauvaise nouvelle et elle en était redescendue avec un air méchant. Son vœu s’exauçait… elle devint aigrie et se mit à haïr toute la société… la grande prêtresse de l’édition avait perdu de son aura depuis qu’elle avait envoyé cette lettre qui fut publiée dans le Canard !
Après trente ans à faire et défaire les auteurs avec des phrases assassines, on imagine les rancœurs et les médisances accumulées! Elle avait eu beau commettre deux ou trois bouquins sous son vrai nom… (rien que son nom faisait vendre, ne serait-ce que pour vérifier si elle n’avait pas dit du mal de soi !)… qui n’avait pas été effrayé par sa tête se chien gras moustachu et ses aboiements péremptoires? Sa masse sentait un peu fort dans les couloirs de la maison d’édition… même loin après son passage. Seule, une personne savait qu’elle écrivait des romans pornographiques ou à l’eau de rose… c’était souvent la même trame pour les deux ! et sous un pseudonyme le « comparse » encaissait de conséquents droits d’auteur qu’il lui reversait, moins l’équivalent des impôts de cette substantielle et régulière manne. L’air de vieux beau un peu veule, les cheveux platine, la lippe dédaigneuse allaient bien au personnage qui se faisait passer pour l’auteur de ces « slipades comme elle disait »… on s’étonnait seulement de ses talents, sachant que peu d’hommes ont su s’imposer dans l’exercice difficile de ce type d’écriture (pour ne pas citer la maison la plus connue où d’ailleurs il sévissait en censurant tout ce qui pouvait souiller le mot littérature).
et depuis trois jours elle essayait de le joindre… inquiète elle est passée chez lui… entrant sans prévenir en utilisant un double des clefs… « au cas où » comme il disait… avec un mauvais pressentiment… mais non… il était vivant, hébété mais vivant… la voyant, il s’est dressé sur sa chaise, la langue pendante, l’œil larmoyant, regardant bêtement la machine à écrire, un chapitre en cours enroulé autour du tambour… sautant pour la lécher… ses griffes ont déchiré ses vêtements… ses crocs arrachant son soutien-gorge ont fait gicler ses deux seins laiteux, deux outres un peu molles striées de vergetures… ses pattes postérieures réussissant à relever sa jupe à s’immiscer dans sa culotte… elle ne savait pas pourquoi… elle aurait dû avoir honte… haletant excité, son torse velu caressant faisant rouler ses seins, la chatouillant un peu partout avec sa queue, allant et venant rapidement… elle se laissait faire, un doux plaisir remplaçant brutalement l’abjecte sensation du début… et elle a joui… comme un flash… elle a juste pensé : comme une bête…
lui à cet instant a eu l’air triste comme un chien sans maître… il aboya… tant pis… il a sauté par terre, la queue basse… comme s’il avait pressenti l’arrivée de son maître, au cliquetis des clefs dans la serrure, il s’est précipité à la porte…
-je suis venu pour l’argent… j’en ai terriblement besoin… je t’ai attendue avec ton chien…
-ah ! ta traductrice n’assure plus tes fantasmes et tu ne perds pas une occasion comme d’habitude !
-tu sais les fins de mois sont difficiles et mon dernier bouquin m’a moins rapporté que prévu…
une cendre s’échappa de sa Gitane collée au coin de sa bouche, d’un œil elle suivit la chute lente comme si elle l’avait pressentie et d’un coup de chaussure la fit disparaître dans les poils du tapis. Il la regarda avec un dédain accru.
-tu ne respectes rien ; tu as l’intelligence basse corruptrice et abyssale d’un Iago, d’un Scoronconcolo… une éditrice abjecte… savais-tu qu’on utilise des caméras correctrices d’images pour ne pas effrayer le monde… tout ça pour toi… une outre suant le fantasme même dans les confessionnaux de la Madeleine, la veulerie, la jalousie… le curé en jette des sacs entiers dans les poubelles rédemptrices… ton cul pue… ta stérilité a fait germer l’immonde du monde… il y a en toi une haine viscérale de l’humanité entière… espèce d’Isidore Ducasse !
-Oh ! que j’aime ce compliment… j’aurais aimé me faire saillir par la lame de Maldoror !
Le téléphone sonna – – – trois fois. Un o morse très lent…
-Décroche c’est pour toi… c’est un confrère journaliste, moins nègre que moi qui veut écrire une bio sur toi… et je ne sais pas pourquoi… il m’a demandé d’en faire la préface… on s’est arrangé pour que tu ne puisses pas refuser… tu vois, à ton contact on a fini par prendre des travers…
Le chien sauta de la chaise et vint la renifler entre ses jambes… elle, le repoussant en gémissant.
-tu vois… Dieu, la zoophilie… avec ta dialectique et tes amis, tu ferais d’une Françoise assise une sainte entourée d’un chien et auréolée d’une nuée d’oiseaux ! allez je te laisse mon appartement… tu as des choses à terminer… je sais que ce ne sera pas long… tu devrais te mettre un peu de poudre… mais d’abord passe sous la douche…
Il se retourna, la porte claqua… et effectivement ce ne fut pas long avant d’entendre un autre claquement. La réalité correspond parfois à ce que nous en révèle les médias : de sous la porte avait glissé une odeur de poudre… le chien commençait à renifler, à enfouir le museau dans la cervelle… il y avait des constellations rouges sur le mur… l’imagination des poètes et des astronomes leur donneront des noms.
7 avril 92-3 novembre 98